Rages de chênes, rages de roseaux
Mathieu Lindon
« Tout à coup, le monde ne convient pas. Rien de particulier ne s’est produit : semble-t-il que ça durait depuis toujours et il a dû y avoir cristallisation, sédimentation, soudain l’inadéquation saute aux yeux. Ce n’est pas plus grave que ça - à qui convient-il ? Mais le monde ne convient pas et tout à coup il prend ça à coeur. Tout à coup, il n’y comprend rien et c’est une conquête. »
Tout en poursuivant cette pensée qui se nourrit des paradoxes qu’elle développe, Mathieu Lindon introduit dans ce nouveau livre des changements de registre et un changement de méthode sans pour autant abandonner ce qui fait son esthétique si personnelle, cette manière de contraindre la langue et une tonalité unique (ironie, esprit d’enfance), mais il les pousse plus loin encore jusqu’à fabriquer un étrange objet dont le genre est pour le moins indéfinissable - nouveau ?
De quoi s’agit-il, puisqu’il ne s’agit ni d’écrire sur soi, ni d’écrire une histoire ? En fait, le secret de ce livre réside peut-être dans ses premières lignes, à partir desquelles il prend son essor qui ne va plus cesser de nous surprendre : « Tout à coup, le monde ne convient pas. Rien de particulier ne s’est produit : semble-t-il que ça durait depuis toujours et il a dû y avoir cristallisation, sédimentation, soudain l’inadéquation saute aux yeux. Ce n’est pas plus grave que ça - à qui convient-il ? Mais le monde ne convient pas et tout à coup il prend ça à coeur. Tout à coup, il n’y comprend rien et c’est une conquête. C’est ça, la vie ? Il l’avait entrevue différemment. C’est ça, l’amour, le travail, la vie en société, la société ? Il y a eu la révolution pendant la nuit, l’humain a changé du tout au tout ? Il ne comprend pas pourquoi il ne comprend plus ce qu’il comprenait sans problème, sans blessure. Tout à coup, c’est une force, il n’y comprend rien. »
Alors, cette incompréhension de plus en plus rageuse va devenir un moteur (« une force ») d’interrogation sur le monde, sur tous les aspects de ce qui fait le monde où nous vivons (« l’amour, le travail, la vie en société, la société » et bien davantage), une machine à poser des questions, à créer des contradictions, à les confronter, les peser, passer de l’une à l’autre à une vitesse considérable et avec une énergie bouleversante. Elle emprunte pour avancer toutes les formes disponibles, du flux de conscience au dialogue théâtral, de l’apologue au poème et à l’essai. Elle se développe, augmente, et prend une ampleur impressionnante, en volume comme en intensité. S’il s’agit d’un traité de philosophie, ce qui n’est pas exclu, on n’en a jamais vu de pareil... c’est du langage-pensée, de la pensée portée par la langue, du jamais entendu, du jamais lu. P.O.L. 656p