Kronos
Witold Gombrowicz
Et puis il y avait l'autre journal : inconnu, sulfureux, dissimulé, dont l'auteur disait à sa femme Rita : « Si la maison brûle, tu prends le Chronos et les contrats, et tu cours le plus vite possible. » Le manuscrit en était resté totalement secret, après la mort de Witold Gombrowicz en 1969 à Vence. En dehors de cette bisexualité que l'auteur de La Pornographie avait bien cachée...
Witold Gombrowicz a tenu son journal intime toute sa vie. Mais était-il si intime ? Il y en avait un qui paraissait dans la revue de l'émigration polonaise Kultura, par épisodes, un peu comme on lance une bouteille à la mer, et qui donnait à Witold, l'exilé en Argentine ayant laissé l'Europe en cendres derrière lui et sa patrie la Pologne, l'impression de faire la guerre avec les mots. Et puis il y avait l'autre journal : inconnu, sulfureux, dissimulé, dont l'auteur disait à sa femme Rita : « Si la maison brûle, tu prends le Chronos et les contrats, et tu cours le plus vite possible. » Le manuscrit en était resté totalement secret, après la mort de Witold Gombrowicz en 1969 à Vence, et de ce paquet de feuilles écrites à la main, avec des abréviations qui nous font penser à un texte kabbalistique, Rita écrit : « Je l'ai mis au centre de ma vie comme une force secrète mais agissante. » La veuve exemplaire a choisi de le publier d'abord en Pologne, où ce fut un grand fracas, c'est au tour de la France de le découvrir. Dans son Journal officiel, lu par tous les Polonais de l'émigration, on pensait Witold Gombrowicz exilé jouant aux échecs sous les arbres de Buenos Aires, placide employé de banque comme Kafka le fut aux assurances, s'improvisant professeur de philosophie pour gagner quelques pesos de plus. Voici que nous le découvrons à la fois immature et stratège, sexuellement aventureux au point de dire : « L'excès de l'élément érotique paralyse ma littérature » puis, plus tard : « Du point de vue érotique, c'est le calme plat ! » En dehors de cette bisexualité que l'auteur de La Pornographie avait bien cachée, cette plongée dans l'immaturité d'un pays où « les femmes argentines [lui] déplaisent souverainement », c'est le laboratoire d'une oeuvre que l'on découvre. Les ennuis de santé et d'argent. Les lieux. La gloire qui arrive et l'atteint, lui, le presque Job. Mais aussi un atelier. Une coulisse où se fabrique le regard singulier d'un génie bohémien, farceur, souffrant et souriant. « Enfin, je commence à voir mon propre visage émerger du temps. » Stock. 400p